Une exceptionnelle photo de ce roi
Comment Glèlè contourna artistiquement un principe du ‘’ Danxome Cassoudo’’ ou Constitution du Danxome en toute finesse ?
LES TROIS GLORIEUSES DE GLELE
A la suite des rois hier, nos Présidents aujourd’hui prêtent serment à la face du peuple et martèlent leur engagement à respecter la Constitution. Mais il arrive bien souvent que face à de situations délicates non prévues par la loi, des conflits naissent. L’application ou l’interprétation qui est alors faite de cette loi conduit certains dirigeants à enfreindre et même à violer certaines de ces dispositions. L’exemple de GLELE en la matière est plus qu’édifiant.
Le roi GLELE, rongé par le dilemme, partagé entre le devoir de faire précéder les obsèques de sa mère et les usages d’organiser les funérailles de son père, ferait-il entorse à une règle sacro-sainte de Danxomè ? Aucune autre manifestation ne devait en effet se dérouler, fût-elle celle du roi en personne, au moment où se déroulent des cérémonies au palais de Danxomè. Avait-t-il le devoir d’être personnellement présent aux deux cérémonies ! Au palais il se devra d’assurer par sa présence, ses fonctions de roi et à Djègbé, le fils (vi sounou daho) et à Djègbé, il devra personnellement, répondre aux exigences des cérémonies pour sa mère, ainsi que l’impose la tradition. Les dispositions étaient prises de chaque côté, au palais central pour les cérémonies royales et à Djègbé pour les funérailles de sa mère.
Enfants, hommes du peuple, amis blancs et diverses délégations, tamtameurs, tous parés de beaux accoutrements de fêtes arrivèrent sur la grande cour du palais ; de l’autre côté à Djègbé à NONNONXOUE (Covèkpa) la rumeur ici laissait comprendre qu’une manifestation était sur le point de venir. Mais GLELE, contre toute attente, usa d’un subterfuge qui lui valut plutôt l’admiration de tous en lieu et place des critiques et autres invectives auxquels il s’exposait devant les princes….
Le Danxomè a une constitution qui s’appelle ‘’Danxomè Cassoudo’’ et contenait une quarantaine de lois. La dernière fois quand des descendants du roi Guézo se sont réunis dans son palais privé pour marquer leur mécontentement par rapport aux critiques que le Président de la République, le Dr Boni YAYI aurait faites sur la jarre passoire[1] de Guézo, le reportage qu’en a fait une chaîne de télévision de la place a pris fin sur une note musicale ‘’Yen nan mon Guézo’’ chantée par une princesse (Nan). Cette célèbre chanson arrive souvent dans les grandes manifestations royales à Abomey. Elle avait été composée et chantée pour la première fois par Glèlè dans des situations particulières qu’il convient de relater aux générations de dirigeants de nos temps que nous accusons à tord ou à raison.
ZOGNINDI la génitrice de Glèlè était décédée un peu avant la tragique disparition de son époux, le roi Guézo. Mais Guézo n’avait pas eu le temps de finir les obsèques de son épouse et mère du prince héritier. Il repoussait constamment ces cérémonies parce qu’il y avait de nombreux et très sérieux problèmes à l’intérieur comme à l’extérieur du royaume en ce temps. Toute l’attention de Guézo était absorbée par les affaires du palais. Son fils héritier Badohoun accéda au trône sous le nom fort de Dèlèlè (Glèlè). Et comme dans toute situation de règne, un groupe de princes frères consanguins, ne voulait pas de lui sur le trône. Et pire, en ce moment, la sécheresse, la famine et la variole sévissaient et le peuple disait déjà : Ah ! C’est par ce roi, fils de mahinou (faisant allusion à ses origines maternelles) que nous arrive tout ce malheur. Alors, prenant conscience de la situation, le nouveau roi consulta les oracles qui lui imposèrent un retour à ses origines maternelles (mission très périlleuse à l’époque) pour ramener nécessairement celle qui remplacera sa mère et assurera les mêmes rôles de bouclier que jouait sa génitrice. Glèlè était le troisième des quatre fils ayant survécu aux nombreuses infanticides et autres douloureuses épreuves que ZOGNINDI avaient vécues. Ses quatre frères et sœurs germains étaient : Noudaï, Dako, Badohoun devenu Glèlè, et Nani sa plus jeune sœur. Mais lui était fils unique de sa mère longtemps avant son accession au trône. Pourtant, il convient de signaler, lors de la consultation du ‘’fâ de grossesse’’ dit ‘’adogofa[2]’’ aux premiers mois de la conception de Badohoun, les oracles avaient prédit que la descendance de ZOGNINDI multipliera la terre. Glèlè avait donc envoyé une forte délégation d’une quarantaine de personnes à Wogoudo une région Mahi située entre Agonlin et Kétou pour rechercher et ramener cette remplaçante (sosie) de sa mère. La délégation fut de retour avec succès. Mais Glèlè projeta l’organisation des funérailles de sa mère qui devraient se terminer par l’intronisation de la remplaçante. Au-delà de tout, Glèlè aimait sa mère d’un intense amour. Il voulait aussi ressusciter la ressusciter dans l’esprit des Danxomènous qui ne sauront jamais qu’elle fut morte.
Dans l’ère culturelle Aja-tado et dans l’esprit de ces mortels, le bon sens voulait que, tant que d’anciennes funérailles attendraient celles des gens décédés par la suite, ne sauraient être organisées. De cérémonies royales dans ce récit, il s’agit en fait de celles qui clôturaient les funérailles de Guézo. Des princes et dignitaires qui s’opposaient tacitement à Glélé voudraient que les funérailles de Guézo fussent organisées même si celles de la mère du roi devraient attendre. Dans l’ordre naturel des choses, le faire ainsi, était une immoralité qui pourrait avoir des conséquences psychologiques immenses pour le roi.
La décision d’organiser des cérémonies royales, même si elle venait souvent de la volonté du roi, était collégialement retenue par les princes et les dignitaires de la cité avec le concours des oracles. Une fois homologuée, son organisation et sa réussite s’imposaient à tout le peuple de Danxomè. Dans les familles des Danxomènous où attendaient diverses manifestations privées (deuils, cakpélékpélé[3], Ahanbiba[4] etc.), la période prévue pour le déroulement des cérémonies royales devient un repère dont elles devraient rigoureusement tenir compte. Car semble-t-il, au nombre des commandements inscrits dans le ‘’Danxomè Cassoudo’’[5], aucune autre cérémonie de quelque importance que ce soit, ne saurait perturber ou intervenir simplement pendant le déroulement de celles royales. Enfreindre à cette disposition, expose les contrevenants à de lourdes sanctions. Nul n’était au-dessus de ‘’Danxomè Cassoudo’’. Pourtant cette fois, l’histoire devra retenir que Glélé avait trop attendu les moments propices pour faire les cérémonies officielles d’enlèvement de deuils pour sa mère comme on aime le dire de nos jours. Aussi, il devra introniser sa remplaçante dans le but d’institutionnaliser ce trône. Chez les Danxomènous, si les cérémonies aux morts n’étaient pas faites dans les règles, l’âme du défunt ne trouve pas la paix dans le royaume des morts. Maintenant qu’il est roi, qu’est-ce qui pourrait encore l’empêcher d’assumer ses devoirs de digne fils de sa mère qui plus était unique pour celle-ci ? Il s’agit de comprendre sa conviction car si son frère Noudaï (même frappé de débilité mentale) ou Dako, ou encore sa sœur Nani de même mère vivait encore pour partager avec lui cette charge psychologique, son engagement aurait été autre. Dans la philosophie fon de Danxomè, le rôle le plus important pour un fils était d’honorer ses parents et de les enterrer dignement à leur mort. Ce qui motive davantage Glélé à contourner habillement le ‘’Danxomè Cassoudo’’ était que la remplaçante tant recherchée, le sosie, son nouveau bouclier, venait de rentrer de WOGOUDO à Abomey. Si les cérémonies traînaient encore et que les rumeurs de l’arrivée du sosie et sa suite faisaient le tour du royaume, d’autres complications pourraient venir perturber son projet. Alors les cérémonies royales officiellement projetées auront lieu ; mais celles qu’attendait l’âme de sa chère mère se dérouleront elles aussi. Cela, Glélé le fera en grand artiste et spécialiste réalisateur de grandes cérémonies.
Les dispositions étaient prises de chaque côté, au palais central pour les cérémonies royales. Enfants, hommes du peuple, amis blancs et diverses délégations, tamtameurs, tous parés de beaux accoutrements de fêtes arrivèrent sur la grande cour du palais ; de l’autre côté à Djègbé à NONNONXOUE (Covèkpa) la rumeur ici laissait comprendre qu’une manifestation était sur le point de venir.
Le roi ferait-il une entorse à une règle sacro-sainte de Danxomè ? Aucune autre manifestation ne doit se dérouler fût-elle celle du roi en personne au moment du déroulement des cérémonies au palais de Danxomè. Aussi avait-t-il le devoir d’être personnellement présent aux deux cérémonies ! Au palais il se devra assurer par sa présence, ses fonctions de roi et à Djègbé, le fils (vi sounou daho) devra personnellement, répondre aux exigences des cérémonies pour sa mère selon la tradition.
Entre loi et devoir : l’art
Glélé comprenait l’enjeu et avait pris le poids de la mesure. Nuitamment, il invita Kakessa, son griot (Kpanlingan) et un groupe de musiciens puis composa la chanson. « Tout discours précieux qu’on veut immortaliser doit être élaboré et chanté », a dit Bienvenu AKOHA, Professeur, Maître de conférence à l’Université d’Abomey-Calavi cité par son étudiant Gilles H. da SILVEIRA dans son mémoire intitulé « le chant AGBADJA en milieu fon d’Abomey – mécanismes didactiques et effets esthétiques »
Les préparatifs avancèrent. Les invités, les princes et les dignitaires, tous étaient venus, parasols et autres distinctions aux éclats. Ils murmurèrent entre eux, sur l’issu que le roi comptait donner à cette situation car ils devraient honorer eux aussi de leur présence aux deux invitations. Le roi oserait-il contourner le ‘’Danxomè Cassoudo ’’ ?
A NONNONXOUE, tout était aussi prêt et attendait.
Le roi fit son apparition sur la place du palais central et entonna donc cette longue chanson qui résume son intention, la complexité de sa mission et la profondeur des ses émotions.
Je vais voir Guézo - Agbahaïda[6],
L’époux pour lancer les cérémonies.
Voici que mes frères consanguins
Bien parés sous leur parasol[7]…
Sont prêts et attendent
Que murmurent-ils ?
Que cherchent-ils à comprendre ?
Je vais voir Guézo le mari[8]
Avant d’aller vers son épouse
Rien ne perturbe les cérémonies d’Agbahaïda
…
Ecoutant et comprenant la profondeur de cette chanson, et surtout l’impasse dans laquelle se trouvait cet homme qui chantait, l’assistance se mit à approuver de hochements de tête, le grand artiste se faisait plaindre et déjà le peuple, prenant part à sa souffrance, le tolérait.
…
(S’adressant à son père)
Moi, ton fidèle serviteur
Moi, qui suis tes yeux, tes pieds, tes bras,
A moi…
(Voici dans quelle situation tu m’as laissé)
(Comme pour dire : je vais enfreindre à ta loi, et tu dois l’assumer)
…
Ce qu’il faut préciser à nouveau, ce fut Guézo, son père qui aurait ajouté aux articles du ‘’Danxomè Cassoudo’’ cette disposition interdisant toute manifestation qui pourrait venir perturber les cérémonies royales. Il indique dans la chanson sa volonté d’obtenir l’autorisation d’organiser enfin des cérémonies pour sa mère. Et il compte adresser cette requête à qui de droit en se rendant sur la vraie tombe Guézo à Canna, à une vingtaine de kilomètres d’Abomey.
Glèlè entonna la chanson, lança son bâton de commandement au ciel puis le rattrapa, majestueusement, exécuta des pas de danse avec la souplesse et la détente sportive qui fit balancer son corps. Il tourna sur lui-même, marqua une brève pause, un pied et mains suspendus, toisa du côté des princes et frères consanguins, avala son amertume puis donna le top du grand départ. Tam-tams, castagnettes et gongs suivirent le roi, qui souleva la poussière en s’élançant. Il fit le tour du marché Houndjro et traversa la cour des divinités toxosou où est représentée l’âme de son frère Noudaï, marqua une pause comme pour l’inviter à le suivre dans la grande mission qu’il venait de s’assigner. Le roi et une foule nombreuse prirent le chemin de Cana (Canaan) où gite effectivement le roi Guézo. Précisons au passage que Glélé n’était pas allé à Canna pour remercier son père, mais plutôt pour lui dire son mécontentement face à cette situation complexe dans laquelle il l’avait laissé. Mais là encore, Glélé l’avait fait avec beaucoup d’art et d’esthétique littéraire pour ne pas offenser l’âme de son père.
Sur le chemin de retour de Cana qui passait juste à côté de NONNONXOUE, un émissaire l’avait précédé pour faire coïncider son arrivée avec le démarrage des funérailles pour sa mère. Quand l’émissaire donna le signal (puisque le roi arrivait à la lisière de la concession), le maître des cérémonies cria très fort ‘’où est le fils aîné de la défunte’’ d’autres voix répétèrent en écho. Glélé cria très fort au milieu de la foule : ‘’me voici’’. Il se dégagea en courant et s’en va se prosterner devant les cardinaux qui conduisaient les cérémonies. Il entonna dans sa course une belle chanson subsidiaire « nan é lo o o o » qui signifie : me voici – advienne de moi ce que tu voudras, chère mère…). Il venait d’accomplir l’acte qui comptait. Il se releva aussitôt et reprit le chemin du palais central où attendaient princes, étrangers et populations pour les grandes cérémonies royales du roi Guézo. Kakessa le griot, de sa voix, couvrant tout le quartier de Djègbé, récitait déjà les louanges de Djèto ZOGNINDI la perle des eaux. Les dernières funérailles de sa mère déjà se déroulaient ; celles de son père peuvent elles aussi commencer dans le respect rigoureux de l’ordre naturel inscrit dans l’esprit des danxomènous. Pendant longtemps, le peuple retiendra de son roi, les belles images de l’organisation des Trois Glorieuses de Glèlè (TGG[9]). Il avait fait rêver son peuple qui aimait particulièrement voir son roi chanter et danser au cours des grandes occasions[10]. La constitution étant ce qu’il y a de plus rigide dans une société, elle se laisse pourtant contourner parfois avec minutie, finesse et art.
Les Présidents d’aujourd’hui, au lieu de s’attirer l’opposition et la révolte de leurs concitoyens à travers des tentatives grossières de passer outre certaines dispositions de leur Constitution, gagneraient à susciter l’adhésion de ces derniers, à la Glèlè, non pas forcément par un référendum, mais à travers des faits et gestes bien pensés qui leur fasse conquérir l’assentiment et l’admiration du peuple. Le roi GLELE a donné l’exemple, qu’avec un peu de tact, de minutie, on gagne la confiance et la sympathie de son peuple, quels que soient les motifs incriminés. Laurent GBAGBO, s’il lui avait été donné de tirer leçon de ce récit historique, aurait certainement pris le temps de gagner la sympathie de son peuple bien longtemps avant d’organiser les élections.
Prenons donc conscience de notre propre passé ; elle recèle d’exemples, de modèles, de valeurs et de leçons où nous n’avons qu’à puiser pour affiner notre faculté de penser, d’agir, de réagir et de créer car comme le dit BOILEAU, « Les exemples vivants sont d’un autre pouvoir et un prince, dans un livre, apprend mal son devoir ». Soyons dans la mondialisation mais écoutons notre histoire car, dans la « triste » réalité, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
Pour en savoir plus sur cet article, mail : tousah@yahoo.fr - Tél. 220 95 95 50 10 ou 229 97 01 09 98 COTONOU
Du même auteur :
1. Béhanzin le grand stratège
2. Stratégie guerrière du Roi Béhanzin
. Djèto ZOGNINDI la Perle des eaux - (La reine mère de Glèlè épouse de Guézo) une monographie de recherche et d’histoire)
[1] La jarre passoire est un objet utilisé dans les rituels traditionnels. En cuisine elle jouerait le même rôle qu’une passoire. Elle est ainsi conçue pour une fonction particulière. L’appeler Jarre trouée est une mauvaise déclinaison de son sens.
[2] Consultation du fâ (méthode de divination), pratique pour connaître l’avenir de la grossesse et de l’enfant qui va naitre
[3] Cocktails familiaux ou pique nique familial
[4] Libations pour les morts
[5] Appellation pour désigner l’ensemble des lois fondamentales de gestion du royaume, établies sous le roi Houégbadja et ayant connues quelques ajouts avec ses successeurs – le danxomè cassoudo signifie en langue fongbé la calebasse fermée de Danxomè et l’ouvrir signifie enfreindre à une ou des lois qu’elle contient. Le Danxomè cassoudo correspond à ce que nous appelons de nos jours ‘’la loi constitutionnelle’’.
[6] Un autre nom fort de Guézo
[7] Les parasols à Abomey étaient des signes extérieurs de haute distinction dans la hiérarchie sociale à Danxomè. Ne l’ouvre pas qui veut.
[8] Certaines sources orales rapportent que cette loi qui interdit toute manifestation pendant les cérémonies royales fut introduite dans le danxomè cassoudo par Guézo. Et voici qu’elle se dresse contre lui le fils, face à un problème que Guézo devait résoudre avant de mourir... les frères consanguins ne voulant pas lui laisser le temps de procéder autrement, tacitement, Glélé rendait responsable son père, des conséquences de l’acte qu’il s’engageait à poser. ‘’Guézo, excuse-moi, je n’en suis pour rien’’
[9] Son Père, sa Mère et l’éternité de son amour pour sa mère.
[10] Cette scène est ainsi racontée par nos informateurs (source orale).